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AFno speed limit

Je remonte des pentes en poussant ma planche pour le plaisir de les descendre, et  j'ai l'impression de pouvoir avancer à l'infini. Je sens mon corps fonctionner avec légèreté, cinq poussées de la jambe droite, je change d'appui, cinq poussées de l'autre jambe; les kilomètres défilent et je cesse de compter les poussées, je m'abandonne au son des roues sur l'asphalte lisse et propre, mes yeux dévorent la ligne d'horizon et je respire l'air immobile d'une journée d'été, ma peau absorbe la lumière et sa chaleur, ma sueur coule douce et fraîche, je suis vivant.

Un mur de mousse vient sur moi, je me redresse sur ma planche, mes mains la tiennent fermement de part et d'autre, je plante mon genoux droit en son centre, ma jambe gauche se lève puis se tend. Sous mon poids, l'avant de la planche s'enfonce sous l'eau, je suis son mouvement et me colle à elle en retenant ma respiration; quelques brasses et le rouleau m'est passé au dessus, je remonte et je recommence à ramer pour atteindre le point où les vagues se forment sans casser. Je suis épuisé, j'aspire l'air à grandes goulées et je continue à ramer. Je m'assieds pour reprendre des forces et attendre. Des mouettes planent sans effort sur un vent constant qui creuse une mer turquoise et joue sa mélodie. Il est sept heures et le soleil me caresse, la Méditerranée me berce et me prend en elle, son eau est douce; je ne pense plus, je sens; je suis vivant.

Cela fait trois heures que nous jouons cette partie, je fixe la pendule électronique qui égrène les secondes de mon adversaire. Il joue Fou g5, une défense que je n'avais pas vue. J'ai confiance en mon jugement, avec presque toutes mes pièces sur son roque je suis gagnant! Enfin, je trouve la clef! Cavalier prend sur h6, échec. Je vérifie les variantes avant de jouer le coup et je ne vois pas de défense satisfaisante pour les Noirs. Je joue C x h6 + . Surpris, mon adversaire fronce les sourcils. Il n'avait pas vu ce sacrifice. Son temps s'écoule, il cherche une défense et il sait qu'il va perdre. Je sens que je vais gagner. En observant mon adversaire, je devine, je sais ce qu'il éprouve, il "mourra", il sera vaincu. Je contrôle la situation, je domine l'échiquier, je sais que je vais gagner, je suis vivant.

Un dimanche d'été, il est 19h30 heures entre  Valencia et Castellon sur l'autopista A7, en direction d'Alicante. "Child of Vision" de Supertramp commence et emplit l'habitacle avec sa mélodie toute en tension. Je laisse la musique m'envahir et je me redresse sur mon siège. Mes mains sont bien placées sur le volant gainé de cuir, je suis parfaitement éveillé, j'ai conscience de ce qu'il y a derrière moi et à côté de moi. En face c'est la route, vide, illuminée en ors solaires. La sixième vitesse est enclenchée depuis longtemps, j'appuie sur l'accélérateur et progressivement, proprement, le tachymètre atteint les 200 km/h. J'ai confiance en ma voiture, en son moteur, son chassis. Je sens la vitesse, les 1300 kilos qui filent et que je contrôle, je suis vivant.

 
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